Introduction

Il y a un peu moins de dix ans, les scientifiques de l’université KU Leuven (Van de Cruys et al., 2014) publiaient un article brillant qui tentait d’expliquer le fonctionnement autistique à l’aide de la théorie du codage prédictif (predictive coding). Cette théorie est malheureusement peu connue en francophonie et je vais tenter de vous l’expliquer. L’autisme est un trouble neurodéveloppemental complexe qui affecte la communication, les interactions sociales et le comportement. Les chercheurs tentent depuis longtemps de comprendre les mécanismes sous-jacents à ce trouble mais aucun modèle ne fait l’unanimité ou ne parvient à expliquer l’entièreté des symptômes de l’autisme. L’une des théories émergentes est celle du codage prédictif. Cette théorie suggère que l’autisme pourrait être lié à une perturbation du fonctionnement du système de prédiction du cerveau.

Qu’est-ce que le codage prédictif ?

Le codage prédictif est un modèle théorique de la façon dont le cerveau traite les informations provenant de l’environnement. Selon ce modèle, le cerveau est constamment engagé dans un processus de prédiction et de mise à jour de ses attentes par rapport aux stimulations sensorielles qu’il reçoit. En d’autres termes, il anticipe les événements futurs en se basant sur les informations passées et ajuste ses prédictions en fonction des nouvelles informations qui lui parviennent. purple and pink plasma ball

Autisme et codage prédictif

Une série d’études scientifiques suggèrent que les personnes atteintes d’autisme présentent des anomalies dans le fonctionnement du codage prédictif. Ces anomalies pourraient expliquer certaines des caractéristiques clés de l’autisme, telles que les difficultés de communication sociale et les comportements répétitifs et restreints.

Le codage prédictif comme explication de l’hypersensibilité sensorielle dans l’autisme

Le codage prédictif est étroitement lié au traitement sensoriel. Les personnes autistes peuvent présenter une hypersensibilité à certains stimuli sensoriels, tels que les bruits forts ou les textures spécifiques. Une perturbation du codage prédictif pourrait entraîner une difficulté à prédire et à filtrer les informations sensorielles, ce qui pourrait expliquer ces hypersensibilités. Je vais donner un exemple pour mieux expliquer ce principe. Imaginons que quelqu’un soit un peu gêné par l’étiquette d’un t-shirt. Notre cerveau a la capacité de filtrer les informations sensorielles jugées non utiles, ce qui est le cas de la démangeaison créée par l’étiquette. Il va donc ne pas prendre en compte les informations de démangeaison qui surviennent sur une partie de la peau. Si l’étiquette bouge un petit peu, le cerveau prototypique va pouvoir prédire que c’est toujours la même étiquette et qu’il faut toujours ne pas prendre en compte cette information. A l’inverse, selon cette théorie, le cerveau autistique va avoir du mal à prédire que la sensation ressentie est celle de la même étiquette et il va donc considérer que c’est un nouveau stimulus sensoriel et qu’il ne faut donc pas filtrer cette information. On comprend alors qu’un autiste va être beaucoup plus dérangé par cette étiquette à partir du moment où elle bouge tout le temps et qu’elle va constamment revenir dans le champs de sa conscience vu qu’il ne parvient pas à faire des prédictions sensorielles qui lui permettraient d’ignorer toutes les sensations liées à cette étiquette. man using headphones shouting beside wall

Le codage prédictif et difficultés de communication sociale

Le codage prédictif est également impliqué dans la compréhension des signaux sociaux et des intentions des autres. Les personnes autistes peuvent avoir du mal à interpréter les signaux sociaux subtils, tels que les expressions faciales, les tonalités de voix ou les gestes non verbaux. Prenons un exemple concret : Depuis tout petit, nous apprenons à partir de nos interactions sociales à décoder le langage non-verbal. Par exemple, nous apprenons qu’un certain ton de voix peut être un signe d’arrogance. Pour apprendre cela, nous avons observé une personne arrogante et pu constater qu’elle avait une intonation de voix spécifique et fait l’hypothèse que les deux étaient liés. Notre cerveau, dans un traitement inconscient, a alors testé son hypothèse en se disant « à la prochaine personne arrogante que je vois, je vais vérifier si elle a les mêmes intonations de voix ». Si mon hypothèse se vérifie, je vais pouvoir développer mes connaissances sociales intuitives et apprendre à prédire l’état d’esprit des autres, ce qui est central dans ce qu’on appelle la « théorie de l’esprit ». Si on suit la logique du codage prédictif, le même processus s’enclenche chez une personne autiste mais elle va avoir tendance, à la première exception, à « jeter son hypothèse première à la poubelle ». Si elle rencontre une personne arrogante qui n’a pas exactement la même intonation de voix, son cerveau va, au niveau inconscient, considérer comme fausse son hypothèse de départ alors qu’un cerveau prototypique va considérer qu’il y a une marge d’erreur dans ses prédictions et que ce n’est pas parce qu’une fois, l’hypothèse n’est pas validée, qu’elle est forcément à mettre de côté. Vu la difficulté de création de connaissance sociale via un codage prédictif au niveau inconscient, les personnes autistes doivent souvent utiliser des ressources conscientes pour prédire les faits sociaux. Cela serait de ce fait la source d’une charge mentale importante, qui va venir s’ajouter à la charge mentale de la multitude des stimuli sensoriels à gérer comme expliqué au point précédent. La théorie aide ainsi à mieux comprendre la fatigue ressentie par les personnes autistes.

Le codage prédictif et comportements restreints

Les comportements restreints et répétitifs sont courants chez les personnes autistes. Selon la théorie du codage prédictif, ces comportements pourraient être une tentative du cerveau de réduire l’incertitude en créant des schémas prévisibles et familiers. Les répétitions offrent un certain degré de prévisibilité et de contrôle, aidant ainsi à compenser les difficultés liées à la prédiction.

Conclusion

La théorie du codage prédictif offre une perspective intéressante pour comprendre les mécanismes sous-jacents à l’autisme. Il est cependant à préciser qu’elle ne parvient pas à expliquer tous les symptômes, elle ne fournit par exemple pas un cadre théorique expliquant les hyporéactivités sensorielles. Les recherches scientifiques futures nous permettront de savoir si cette théorie est la plus à même d’expliquer les différents symptômes de l’autisme.

Bibliographie

Van de Cruys, S., Evers, K., Van der Hallen, R., Van Eylen, L., Boets, B., De-Wit, L., & Wagemans, J. (2014). Precise minds in uncertain worlds: predictive coding in autism. Psychological review, 121(4), 649.