Le trouble du spectre de l’autisme

Le trouble du spectre de l’autisme – ou TSA – est une condition neurodéveloppementale affectant principalement les sphères de la communication et des interactions sociales (DSM-V ; American Psychiatric Association, 2013). C’est une condition qui se manifeste au travers d’un éventail très large de profils ; chaque personne étant sur le spectre de l’autisme sera à la fois différente et similaire à une autre personne située sur ce même spectre. Des aspects tels que l’environnement dans lequel cette personne évolue, ses ressources psychologiques, son expérience de vie ou encore certaines prédispositions génétiques/héréditaires vont venir influencer la façon dont ces traits autistiques vont se manifester – ou non.

D’un point de vue clinique, les enjeux liés à la prise en charge de personnes étant sur le spectre autistique sont cruciaux. Les besoins d’une personne autiste ne communiquant pas de manière orale et ayant des difficultés sociales plus importantes ne seront pas les mêmes que ceux d’une personne arrivant à communiquer oralement et ayant développé au cours de sa vie des capacités d’interactions sociales lui permettant de « passer sous le radar ». 

Dès lors, de plus en plus de diagnostics étant posés (Jick et al., 2003 ; Rutter, 2005 ; Bertelli et al., 2022), il semble critique que les professionnel·le·s impliqué·e·s dans la prise en charge de personnes autistes soient adéquatement formé·e·s aux difficultés socio-émotionnelles et communicationnelles du TSA.

L’identité de genre 

La distinction entre « sexe » et « genre » est introduite en 1955 par John Money afin de différencier le sexe biologique d’un enfant de son identité sexuée (Löwy, 2003). Au sujet de cette différenciation, Robert Stoller (1968) exprime qu’« on peut parler du sexe mâle ou du sexe femelle, mais on peut également parler de masculinité et de féminité et ne pas nécessairement impliquer quoi que ce soit d’anatomique ou de physiologique. ». De fait, si le sexe et le genre ne sont pas quelque chose qui sont de facto liés, il est possible pour certaines personnes de ressentir une inadéquation entre leur genre d’assignation à la naissance et leur identité de genre.  

Le terme transgenre décrit une réalité vécue par une multitude de personnes, ayant des profils tout aussi divers et variés. Cette variété de vécus entraîne des difficultés aussi bien sociales que psychologiques qui sont à la fois similaires et différentes sur certains points. Le parcours de transition sociale et médicale est fragilisant pour la plupart des personnes trans et il n’est pas rare de vivre des ruptures familiales ou bien toute autre forme de violence tant physique que psychologique lors d’un coming-out. 

A l’heure actuelle, rares sont les cours de psychologie qui préparent les professionnel·le·s à l’accompagnement de personnes trans. À l’instar de l’autisme, il est ici tout aussi important que chaque professionnel·le·s impliqué·e·s dans leur suivi soient formé·e·s aux difficultés rencontrées dans ces parcours.

L’intersection entre genre et autisme

Un corpus grandissant de la littérature scientifique s’intéresse à l’intersection de ces deux profils. Celui-ci constate que là où entre 0,3% et 1,6% de la population neurotypique est transgenre (Deutsch, 2016), ce pourcentage est significativement plus important lorsque l’on observe sa co-occurrence dans une population neuroatypique, allant de 7,3% (Vries et al., 2010) à 11-13% (Walsh et al., 2018 ; Kallitsounaki & Williams, 2022). 

women's white long-sleeved shirt

Bien qu’il soit difficile de déterminer avec certitude la proportion exacte, la littérature scientifique fournit des données assez robustes permettant de constater l’importance de cette co-occurrence. Si le lien entre les deux profils est établi, déterminer la raison de celui-ci semble plus complexe. Plusieurs pistes réflexives semblent engagées afin d’expliquer ce dernier : certaines caractéristiques propres au TSA pourraient prédisposer à ressentir de la dysphorie de genre ou bien à questionner son genre d’assignation à la naissance. 

Parmi celles-ci la théorie de l’esprit, c’est-à-dire l’aptitude permettant à un individu d’attribuer des états mentaux inobservables – tels que l’intention, le désir ou la croyance, pour n’en citer que trois – à soi-même ou à autrui, est une piste qui a soulèvé des réflexions plutôt intéressantes (Kallistounaki et al., 2021). Les particularités de mentalisation typiquement rencontrées dans le TSA pourraient entraîner une perception différente de leur propre genre ainsi qu’une conscience plus faible des pressions et préjudices sociaux associés à celui-ci. Dès lors, les traits et particularités du TSA pourraient expliquer une plus grande variance au niveau de l’expression et la construction du genre. Cette variance sous-entend que les idées associées au genre, chez les personnes étant trans et autistes, pourraient être beaucoup plus fluides et moins se retrouver dans la dichotomie binaire au niveau du genre, s’exprimant dès lors par une plus grande proportion de personnes autistes s’identifiant comme non-binaires (Lawson, 2017).

Dans la même lignée, certain·e·s auteur·ice·s (Kallistounaki & Williams, 2020a ; Sala et al., 2020, Warrier et al., 2020) ont aussi soulevé des hypothèses d’ordre social. Les difficultés sociales typiquement rencontrées dans le cadre du TSA sont souvent associées à une compréhension des normes sociales plus faible, une internalisation des rôles de genre moins importante ainsi qu’une moins grosse pression à adopter des comportements associés à un genre en particulier. Coleman-Smith et al. (2020), entre autres, postulent que ces caractéristiques pourraient entrainer, chez les personnes sur le spectre autistique, une plus grande diversité dans la manière d’exprimer leur genre, leurs intérêts et leurs identités, contrairement aux personnes neurotypiques qui semblent plus sensibles aux normes sociales. 

Cependant, si questionner la relation existant entre ces deux profils permet de mieux comprendre leur co-développement, il n’en demeure pas moins important, d’un point de vue clinique, de mieux saisir l’interaction présente entre leurs difficultés propres. En effet, si la demande initiale d’un suivi n’a pas nécessairement trait à l’autisme ou la transidentité, il n’en demeure pas moins important d’avoir conscience de l’impact sur le bien-être des obstacles rencontrés dans la vie quotidienne, dans les parcours de soins ou toute autre sphère impliquant de faire face à une quelconque forme de stigmatisation de ces deux profils.

De fait, il n’est pas rare que l’accès aux soins pour des enfants ou des adolescent·e·s à la fois autistes et transgenres soit rendu plus compliqué par leur entourage ou par des thérapeutes car ce·lles·ux-ci ne sont pas pris·e·s au sérieux par ces dernier·ère·s (Coleman-Smith et al., 2020 ; Hillier et al., 2020). Lorsque l’on sait que 86% des jeunes personnes transgenre rapportent des idées suicidaires et que 40% ont déjà commis une tentative (Austin et al., 2022), alors que l’accès aux soins d’affirmation de genre diminue de 60% la probabilité de dépression ainsi que de 73% les chances de suicide (Tordoff et al., 2022), il semble crucial de garantir l’accès à des soins adaptés à cette population (Bouzy et al., 2023) ; que ce soit au travers d’une prise en charge psychologique, un suivi médical pour un traitement hormonal ou bien toute autre procédure d’affirmation de genre souhaitée. Notons toutefois qu’il n’existe pas de parcours « typique » et que là où certaines personnes souhaitent s’engager dans des procédures médicales, ça n’est pas le cas pour d’autres ou bien peut-être pas dans l’immédiat. L’important est de leur garantir l’espace le plus sécurisant possible afin d’explorer leur genre (Strang, Powers, et al., 2018 ; Wood & Halder, 2014).

Dès lors, garantir l’accès à des environnements de soin les plus sécurisants possibles passe par la réflexion autour de nos positions en tant que professionnel·le·s de la santé et de la santé mentale. Au travers de l’interview de 13 personnes étant à la fois autistes et transgenres, Maroney & Horne (2022) permettent de mettre en avant, face au manque de connaissances des professionnel·le·s, les difficultés typiquement rencontrées quand on se trouve à l’intersection de deux minorités. Les autrices expliquent que la plupart des personnes interviewées ont dû mettre en place des mécanismes de défense – notamment ne pas communiquer leurs identités aux personnes en face d’elles – afin d’éviter des propos et des comportements stigmatisants, tout en mettant la priorité sur leur sécurité. 

Non-contentes de se cantonner à la constatation des difficultés rencontrées, Maroney & Horne (2022) soulignent la nécessité de (mieux) se former sur les deux sujets distincts et suggèrent de repenser la façon dont les praticien·nes abordent aussi bien le langage employé lors des consultations que l’espace dans lequel celles-ci se déroulent ainsi que le positionnement normatif. Ce dernier renvoie aux attentes sociales implicitement placées sur les personnes de coller à leur rôle de genre d’assignation à la naissance et d’avoir un fonctionnement neurotypique si aucun handicap n’est explicitement visible. Additionnellement, les autrices soulignent le caractère crucial pour les personnes neurodiverses et transgenre de graviter dans des espaces et des milieux sociaux leur permettant d’échanger avec des personnes ayant des expériences similaires aux leurs. 

In fine, que ce soit face à un profil ou l’autre, voire les deux conjoints, il est important de savoir prendre en compte toutes les particularités présentes chez les personnes rencontrées en consultation afin de fournir une prise en charge suffisamment individualisée et adaptée. Toutefois, il semble qu’à l’heure actuelle, l’un des freins majeurs à cela soit à encore l’accès aux informations pertinentes sur le sujet, ne reflétant ni une approche stigmatisante, ni des connaissances dépassées sur les deux sujets. Que la demande soit axée autour de ces deux profils ou non, il est indéniable que la compréhension des enjeux vécus dans ceux-ci permet de garantir un meilleur accompagnement des personnes cherchant une aide tant médicale que psychologique.

Bibliographie

American Psychiatric Association. (2013). Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (5th ed.). American Psychiatric Association.

Austin, A., Craig, S. L., D’Souza, S., & McInroy, L. B. (2020). Suicidality Among Transgender Youth: Elucidating the Role of Interpersonal Risk Factors. Journal of Interpersonal Violence, 37(5-6). https://doi.org/10.1177/0886260520915554

Bertelli, M. O., Azeem, M. W., Underwood, L., Scattoni, M. L., Persico, A. M., Ricciardello, A., Sappok, T., Bergmann, T., Keller, R., Bianco, A., Corti, S., Miselli, G., Lassi, S., Croce, L., Bradley, E., & Munir, K. (2022). Autism Spectrum Disorder. Textbook of Psychiatry for Intellectual Disability and Autism Spectrum Disorder, 369–455. https://doi.org/10.1007/978-3-319-95720-3_16

Bouzy, J., Brunelle, J., Cohen, D., & Agnès Condat. (2023). Transidentities and autism spectrum disorder: A systematic review. Psychiatry Research-Neuroimaging, 323, 115176–115176. https://doi.org/10.1016/j.psychres.2023.115176

Coleman-Smith, R. S., Smith, R., Milne, E., & Thompson, A. R. (2020). “Conflict versus Congruence”: A Qualitative Study Exploring the Experience of Gender Dysphoria for Adults with Autism Spectrum Disorder. Journal of Autism and Developmental Disorders, 50. https://doi.org/10.1007/s10803-019-04296-3

de Vries, A. L. C., Noens, I. L. J., Cohen-Kettenis, P. T., van Berckelaer-Onnes, I. A., & Doreleijers, T. A. (2010). Autism Spectrum Disorders in Gender Dysphoric Children and Adolescents. Journal of Autism and Developmental Disorders, 40(8), 930–936. https://doi.org/10.1007/s10803-010-0935-9

Deutsch, M. B. (2016). Making It Count: Improving Estimates of the Size of Transgender and Gender Nonconforming Populations. LGBT Health, 3(3), 181–185. https://doi.org/10.1089/lgbt.2016.0013

Hillier, A., Gallop, N., Mendes, E., Tellez, D., Buckingham, A., Nizami, A., & OToole, D. (2019). LGBTQ + and autism spectrum disorder: Experiences and challenges. International Journal of Transgender Health, 21(1), 98–110. https://doi.org/10.1080/15532739.2019.1594484

Jick, H., & Kaye, J. A. (2003). Epidemiology and Possible Causes of Autism. Pharmacotherapy, 23(12), 1524–1530. https://doi.org/10.1592/phco.23.15.1524.31955

Kallitsounaki, A., & Williams, D. (2020). Mentalising Moderates the Link between Autism Traits and Current Gender Dysphoric Features in Primarily Non-autistic, Cisgender Individuals. Journal of Autism and Developmental Disorders, 50(11), 4148–4157. https://doi.org/10.1007/s10803-020-04478-4

Kallitsounaki, A., & Williams, D. M. (2022). Autism Spectrum Disorder and Gender Dysphoria/Incongruence. A systematic Literature Review and Meta-Analysis. Journal of Autism and Developmental Disorders. https://doi.org/10.1007/s10803-022-05517-y

Kallitsounaki, A., Williams, D. M., & Lind, S. E. (2020). Links Between Autistic Traits, Feelings of Gender Dysphoria, and Mentalising Ability: Replication and Extension of Previous Findings from the General Population. Journal of Autism and Developmental Disorders, 51. https://doi.org/10.1007/s10803-020-04626-w

Löwy, I. (2003). Intersexe et transsexualités : Les technologies de la médecine et la séparation du sexe biologique du sexe social. Cahiers Du Genre, 34(1), 81. https://doi.org/10.3917/cdge.034.0081

Maroney, M. R., & Horne, S. G. (2022). “Tuned into a different channel”: Autistic transgender adults’ experiences of intersectional stigma.. Journal of Counseling Psychology, 69(6). https://doi.org/10.1037/cou0000639

Rutter, M. (2005). Aetiology of autism: findings and questions*. Journal of Intellectual Disability Research, 49(4), 231–238. https://doi.org/10.1111/j.1365-2788.2005.00676.x

Sala, G., Pecora, L., Hooley, M., & Stokes, M. A. (2020). As Diverse as the Spectrum Itself: Trends in Sexuality, Gender and Autism. Current Developmental Disorders Reports, 7(2), 59–68. https://doi.org/10.1007/s40474-020-00190-1

Stoller, R. J. (1968). Sex and Gender (Vol. 1). Science House.

Strang, J. F., Powers, M. D., Knauss, M., Sibarium, E., Leibowitz, S. F., Kenworthy, L., Sadikova, E., Wyss, S., Willing, L., Caplan, R., Pervez, N., Nowak, J., Gohari, D., Gomez-Lobo, V., Call, D., & Anthony, L. G. (2018). “They Thought It Was an Obsession”: Trajectories and Perspectives of Autistic Transgender and Gender-Diverse Adolescents. Journal of Autism and Developmental Disorders, 48(12), 4039–4055. https://doi.org/10.1007/s10803-018-3723-6

Tordoff, D. M., Wanta, J. W., Collin, A., Stepney, C., Inwards-Breland, D. J., & Ahrens, K. (2022). Mental Health Outcomes in Transgender and Nonbinary Youths Receiving Gender-Affirming Care. JAMA Network Open, 5(2). https://doi.org/10.1001/jamanetworkopen.2022.0978

Walsh, R. J., Krabbendam, L., Dewinter, J., & Begeer, S. (2018). Brief Report: Gender Identity Differences in Autistic Adults: Associations with Perceptual and Socio-cognitive Profiles. Journal of Autism and Developmental Disorders, 48(12), 4070–4078. https://doi.org/10.1007/s10803-018-3702-y

Warrier, V., Greenberg, D. M., Weir, E., Buckingham, C., Smith, P., Lai, M.-C., Allison, C., & Baron-Cohen, S. (2020). Elevated rates of autism, other neurodevelopmental and psychiatric diagnoses, and autistic traits in transgender and gender-diverse individuals. Nature Communications, 11(1). https://doi.org/10.1038/s41467-020-17794-1

Wenn B. Lawson, W. B. L. (2017). Issues of Gender & Sexuality  in Special Needs Children: Keeping  Students with Autism & Learning Disability Safe at School. Journal of Intellectual Disability – Diagnosis and Treatment, 5(3), 85–89. https://doi.org/10.6000/2292-2598.2017.05.03.3

Wood, E., & Halder, N. (2014). Gender disorders in learning disability – a systematic review. Tizard Learning Disability Review, 19(4), 158–165. https://doi.org/10.1108/tldr-01-2013-0004[/et_pb_text][/et_pb_column][/et_pb_row][/et_pb_section]